Le Parisien du 3 avril 1994

« Mon fils ne s’est pas suicidé »

La mort de Christophe n'est pas un suicide comme les autres.
Son père à Gilocourt en est fermement convaincu, en dépit des conclusions de l'enquête. Meurtri, il tente de prouver que son fils a été tué par sa passion : le jeu de rôle.
Vincent Maltese pointe un doigt accusateur sur le lycée Louis Thuillier d'Amiens, où son fils avait pu introduire une arme avant de se donner la mort, le 14 février dernier. CHRISTOPHE MALTESE, élève de première en arts graphiques au Iycée Louis Thuillier est découvert sans vie dans sa chambre d'internat, le lundi 14 février. Mort d'une décharge de pistolet à grenailles en pleine tempe. Que s'est-il réellement passé ? La police a conclu au suicide.
Vincent, le père de Christophe veut faire la preuve que derrière ce geste fou se cache une passion allée trop loin, celle du jeu de rôle.
«Mon fils jouait à un jeu auquel il a perdu la vie. Il faut que ça cesse. Que ceux qui y jouent encore prennent conscience du danger. Tout comme leurs parents», dénonce ce père de famille de Gilocourt. Peut-être une façon de se déculpabiliser par la même occasion. Dans le jeu de rôle, chacun participe à une histoire dirigée par un maître. Les pions évoluent sur un plateau comparable à celui de n'importe quel eu de société. Juste de quoi développer l'imagination rien de plus. Mais Christophe et une poignée de copains étaient prêts à aller plus loin. Au point d'avoir dessiné leurs personnages, conçu leur propre histoire et avoir substitué au support traditionnel, un autre, représentant le Iycée dans ses moindres détails.
« Christophe était de plus en plus pris par le jeu. Le week end, il était pressé de retourner au Iycée, sa "famille" comme il disait », explique son père. « Il souffrait d'un véritable dédoublement de personnalité », analyse Nadine sa belle-mère.

Un jeu de « pousse au crime »
Christophe, doux, sensible et non-violent dessinait à n'en plus finir des personnages morbides, dans sa spécialité du noir au blanc, à l'encre de chine. Il se mettait en scène dans un jeu de «pousse au crime », n'hésite pas à qualifier sa belle-mère Nadine.
« A mon avis, cette arme faisait partie du jeu, il l'essayait ce matin-là au moment des fait. C’était le pistolet à grenailles que Christophe avait dérobé probablement la veille à la maison, après que je l'ai sorti de sa cachette initiale pour le cacher sur le haut d'une armoire», explique son père. Fatalité.
« Pour moi, il s'agit d'un accident et non pas d'un suicide. Il a voulu essayer le pistolet devant ses camarades. On a l'impression que quelqu'un sait quelque chose. »
Et puis, ce chef de famille n’admet pas que dans cet établissement, il soit possible d'introduire des armes impunément. Non plus que l'absence de Christophe, toute la matinée de lundi, n'ait pas été remarquée avant midi.
Depuis les faits, les portes se sont fermées les unes après les autres. Proviseur, professeurs, camarade, plus personne au Iycée ne semble vouloir dire quoi que ce soit aux parents dans h douleur. Une circulaire, recommandant le silence viendrait même d'être distribuée aux enseignants.
La disparition du talentueux élève de dessin, promis à un bel avenir est devenue tabou tout comme le jeu de rôle, pourtant si important dans cette affaire. Vincent Maltese est prêt à remuer le ministère de la Justice, s'il le faut, pour faire toute la lumière.

Danlel Pestel


Un Iycée ouvert
Son proviseur évoque «un accident très malheureux », quand il parle de la mort de Christophe et ne cache pas avoir éprouvé « un très grand trouble » au moment des faits. A la tête des 2 300 élèves du Iycée Louis-Thuilliet parmi une cité scolaire qui ne compte pas moins de 7 000 jeunes répartis sur 42 hectares, Michel Boitel avoue ne pas être au courant des moindres faits et gestes de chaque élève.
« Nous ne sommes pas dans un Etat policier. C'est un établissement relativement ouvert, où on ne contrôle pas les gens comme dans un aéroport. Les 400 internes sont sous la surveillance 18 maîtres d'internat. Christophe a ainsi pu apporter dans sa chambre d'interne, le pistolet à grenailles de son père.
« Nous sommes dans l'incapacité de surveiller si à tel ou tel moment, le jeune est arrivé avec une arme. »
Christophe a également pu manquer les cours du lundi matin du drame, sans que son absence évoque le moindre soupçon. « La présence de Christophe et celle tous les internes avaient été notées, le dimanche soir. En cours, les professeurs relèvent les absences heure par heure.»
Celles-ci sont signalées par demi-journée. »
Toujours en référence au règlement du Iycée, Michel Boitelle estime tout à fait possible que le jeune homme soit, par exemple allé prendre son petit déjeuner avant de regagner sa chambre.
« Ies élèves sont autorisés à remonter prendre leurs affaires avant de se rendre en cours. »
A propos de la place des jeux de rôle dans l'établissement, « il y a sans doute des élèves qui s'adonnent à ce genre de chose, y compris à l'extérieur du Iycée mais je ne pense pas que ce soit une raison de cet accident. Il y en a bien d'autres », avoue le proviseur.
Il pense plutôt à des problèmes personnels, ayant pu entraîner la mort. Michel Boitelle ne veut pas en dire plus et se réfugie derrière le rapport qu'il a du fournir auprès de « la cellule vie scolaire » du rectorat d'Amiens et de l'enquête menée par la police. Un point c’est tout...

« Christophe n'était pas prédisposé au suicide »
« Seul Dieu sait pourquoi il s'est tué », lâche Edouard du même lycée avant de poursuivre « nous avons beaucoup déconné et ri ensemble. J'ai perdu un ami. La dernière fois que je l'ai vu le vendredi précèdent, il plaisantait encore. »
Edouard était venu passer quelques jours au domicile familial de Christophe à Gilocourt pendant les dernières vacances de Noël. « Ça avait été très sympa. Le jeune homme avoue que le jeu de rôle, comme son nom l'indique, n'était rien de plus qu'un jeu pour Christophe, quelques autres camarades et lui-même.
« Christophe n'était pas prédisposé au suicide, même si comme nous tous, il dessinait des personnages morbides. C'est à la mode.
Je n'explique pas sa mort. »
Edouard avoue pourtant penser qu'il ne s'agit pas d'un suicide classique. Et de préciser: « Parfois, on s'interrogeait sur les répercussions psychologiques du jeu. On n'a jamais trouvé de réponses. »
Sans doute brisé par la disparition de ce proche camarade il n'a pas rejoué au jeu de rôle depuis le drame du 14 février. Même si par pudeur il explique que c'est parce qu'il doit préparer son bac.

Les conclusions des enquêteurs
De sources judiciaires bien informées I'hypothèse du suicide n'est pas remise en cause dans la procédure. « Tous les éléments matériels le démontrent. Actuellement, on est simplement en train de vérifier si toutes les constations sont correctes. » La justice parle d'une possible roulette russe, ayant entraîné une mort immédiate. « Les parents évoquent sans preuve la présence d'autres élèves au moment du décès. Ils aiment gratter là où ça fait mal ! »
« Pour le procureur de la République, il s'agissait de savoir si c'était un suicide ou pas. Notre boulot est terminé», résumait dernièrement l'inspecteur de police Paul Magnier, chargé de l'enquête à Amiens. Il lui restait encore à entendre un professeur pour vérifier si tous les élèves étaient bien en cours au moment du drame. « Le lundi matin, jour du drame pendant les heures de cours entre 10 h et 10 h 30 ». L'inspecteur est formel.
Tout comme lorsqu'il évoque l'état psychologique de la victime : il ne tournait pas rond et avait des tendances morbides. Au point de simuler sa pendaison la nuit, à l'aide de sa cordelette de communiant. Ce que nient ses parents. « Avec cette arme, il a peut-être voulu se faire peur. Il faisait de la provocation en permanence, se marquant de traces de strangulation. Il portait également sur lui un couteau, était en possession d'une laisse de chien en cuir et de menottes, poursuit l'inspecteur Magnier. « Autant d'instruments qui avaient simplement servi à un devoir », expliquent les parents. Paul Magnier s'appuie sur le désarroi dans lequel la mort de Christophe a plongé ses camarades pour forger définitivement sa conviction de policier: « tous étaient effondrés. S'il y avait eu une quelconque complication, elle aurait transpiré dans l'enquête. » L'enquêteur dit n'avoir ressenti l’importance du jeu de rôle à aucun moment.