Le suicide d 'un
Iycéen de Louis Thuillier au mois de février, à
Amiens, laisse un goût amer d 'incompréhension, Sa famille
qui refuse l’hypothèse d'un geste désespéré,
pense que l'adolescent a été victime d'un jeu de rôle
qui aurai mal tourné.
Officiellement, Christophe Maltèse, 17 ans, s'est suicidé.
Cet élève de la section arts graphiques du Lycée
Louis Thuillier d'Amiens s'est tué le 14 février en fin
de matinée avec l'arme de son père. Dans sa chambre d'internat,
le jeune homme s'est tiré une décharge de pistolet à
grenaille à bout touchant au niveau de la tempe.
Une version
des faits qui est loin de satisfaire Vincent, le père de la victime.
« Mon fils n'est pas mort comme on veut bien le dire » assure
celui qui n'entend pas que l'affaire soit aussi facilement enterrée.
« Christophe
a été victime du personnage qu'il incarnait dans un jeu
de rôle dont les acteurs, comme lui, étaient des élèves
de sa classe ».
L'hypothèse
n'est pas lâchée à la légère. Vincent
Maltèse dispose d'un book volumineux de dessins, d'esquisses
et croquis réalisés par son fils. Autant de documents
sur lesquels il s'appuie pour forger sa conviction.
« Fragile,
comme tous les adolescents, Christophe a été entraîné
dans un jeu qui n'était pas le sien. Et dans un scénario
dont il n'était pas maître ».
Un certain
Marvin
A
en croire son père, dans le cas de Christophe, la réalité
a bien vite dépassé la fiction. Dans le jeu de rôle
traditionnel, les personnages évoluent sur un plateau au gré
d'un maître du jeu qui est le « gardien des clés
» ou encore le « maître du donjon».
Lui seul détient
la règle, où plutôt le scénario, qui peut
à tout instant évoluer. « Somme toute, laisse entendre
Vincent Maltèse, il a droit de vie ou de mort sur ses personnages
».
Il semble
bien que Christophe avait quitté la table d'un banal et innocent
jeu de société pour incarner le personnage de Marvin Seidmann
qu'il s'était créé, à l'image d'un solitaire
passionné de sciences occultes, de violon et de livres. Un personnage
aussi vrai que nature dans un jeu de rôle baptisé «
Occulte » où le plus fort gagne.
« Sois impitoyable avec tes ennemis et élimine tous les
curieux » Cette phrase est signée Ops, « le sorcier
– en préface - un petit carnet de notes appartenant au
malheureux Christophe que son père a récupéré.
Carnet sur
lequel il consigne soigneusement chaque jour l'évolution du jeu
dans lequel on retrouve ses plus proches copains de la section F12 d'arts
graphiques. Tous ont au moins un point commun: un dédoublement
de la personnalité.
En classe,
Christophe est cet élève apprécié et bien
noté, passionné par ce qu'il fait. Dès qu'il quitte
la salle de cours c'est pour laisser carte blanche à Marvin Seidmann.
C'est tout au moins l'opinion d'un père désespéré
qui tente tant bien que mal d'expliquer la mort de son fils.
Caricatures
«Il
faut s'imaginer que mon fils jouait à un jeu grandeur nature,
très structuré ». Pour les besoins d'Occulte, des
plans d'Amiens et du Iycée Thuillier remplacent la table de jeu.
Tous les lieux où l'action se déroulera sont dessinés
jusque dans leur moindre détail comme ceux qui vont y participer.
Christophe y va de son autoportrait au noir au blanc « et va jusqu'à
caricaturer ceux qui y participent » dit Vincent, qui a retrouvé
des ébauches dans les cartons de son fils.
Dans ce jeu,
le territoire de Christophe, c'est la cathédrale d'Amiens où
il se rend souvent avec des copains pour y croquer des bas reliefs.
Tous bénéficient de la gentillesse du gardien qu'ils surnomment
affectueusement « la gargouille ».
Jean Macrez
s'en souvient à peine : « ils venaient à une dizaine
guidés par un jeune en chapeau-melon et lunettes noires. Il semblait
être le chef ». D'ailleurs, Jean Macrez a toujours pensé
que ces gosses étaient envoyés par l'établissement.
« Aberrant
», dit Michel Boitel, le proviseur de cet établissement
qui compte 2 300 élèves et qui n'apprécie guère
que le Iycée soit à ce point impliqué.
« Je
crois savoir que ce jeu de rôle n'a pas eu pour origine le Iycée
Louis Thuillier, mais la famille elle-même, puisque le père
affirme que finalement il a travaillé avec son fils pour monter
ce jeu dit de société ».
« Qu'il
y ait relation de cause à effet entre le jeu et le fait que le
jeune s'est suicidé, ce n'est pas à moi de le dire. Mais
qu'on ne dise pas que c'est l'établissement qui est responsable
du fait que ce jeune homme a introduit dans l'établissement une
arme qu'il avait dérobé à son père ».
« Trop
facile, répond Vincent, qui reste persuadé que s'il s'agit
bien d'un accident, Christophe n'était pas seul dans : la chambre
d'internat quand il a trouvé la mort. »
Michel MAENFISCH
«
Il était bien chez nous »
C'est un jeune tranquille qui aimait ce qu'il faisait et qui était
fort angoissé par bien d'autre choses se souvient Michel Boitel,
le proviseur du Iycée Louis Thuillier.
Il était
heureux chez nous, poursuit-il. Il n'avait qu'une hâte, c'est
d'y revenir. Il pouvait ne regagner I'établissement que le lundi
matin, et pourtant il était là dès le dimanche
soir. C'est bien la preuve qu'il se sentait bien chez nous... et un
peu moins bien ailleurs.
Michel Boitel
s'étonne aujourd'hui « de la volonté de la famille
de trouver d'autres explications que celle qu'elle connaît très
bien » dit-il, sans vouloir en ajouter plus.
Quant au jeu
de rôle, le proviseur indique qu'au moment des faits, il n'était
pas au courant.
«C'est
Christophe qui avait inventé ce jeu avec l'aide sa famille. Si
les parents affirment que d'autres élèves y étaient
mêlés, ils n'ont qu'à le dire à la police
et les élèves concernés seront entendus»
Michel Boitel
n'est cependant pas sans regretter «I'actuel acharnement
téléphonique dont la famille de Christophe fait preuve
auprès de certains élèves. « lls en sont,
assure-t-il, particulièrement perturbés ».
Toujours est-il
que l'expérience dramatique incite le proviseur à être
particulièrement vigilant. « On serait tenté d'interdire
les jeux de rôle, mais le mieux est peut-être de savoir
de quoi il s'agit. Si c’est considéré comme un jeu
de société, si cela doit faire partie d'une activité
périscolaire, I'essentiel c'est qu'elle soit encadrée
par un adulte »